Note pour la période des questions : Contenu illégal en ligne et les obligations du Canada en matière de commerce international
About
- Numéro de référence :
- JUS-2020-QP-00005
- Date fournie :
- 15 déc. 2020
- Organisation :
- Ministère de la Justice Canada
- Nom du ministre :
- Lametti, David (L’hon.)
- Titre du ministre :
- Ministre de la Justice
Enjeu ou question :
Les obligations du Canada en matière de commerce international en vertu de l’ACEUM obligent-elles à accorder l’immunité contre les poursuites criminelles aux fournisseurs de services Internet qui rendent le contenu illégal disponible en ligne?
Réponse suggérée :
• Nous avons pris connaissance d’informations extrêmement troublantes relayées par les médias concernant certaines plateformes en ligne et leur contenu pour adultes.
• L’exploitation sexuelle des enfants est un crime haineux, et l’utilisation de services en ligne de cette façon est totalement inacceptable pour ce gouvernement. Nous sommes fermement engagés à protéger les enfants et éradiquer la pornographie infantile et le trafic d’êtres humains.
• Tel que mon collègue, le ministre du Patrimoine l’a dit publiquement, nous avons l’intention de légiférer en 2021 de façon à prévoir des amendes considérables pour les compagnies qui mettent en ligne du contenu illégal.
• Soyons clairs, le Canada n’est pas obligé sous l’ACEUM d’accorder une immunité à l’encontre de poursuites criminelles aux fournisseurs de service internet qui rendent disponible en ligne du contenu illégal.
• Rien dans l’ACEUM n’empêche le Canada d’adopter ou mettre en œuvre les dispositions du droit pénal s’appliquant à un tel contenu.
• Le Canada n’est pas empêché non plus d’adopter des lois nécessaires pour protéger la moralité publique, incluant des mesures pour contrer le trafic sexuel en ligne, l’exploitation sexuelle des enfants et la prostitution.
Contexte :
Pornhub est une plateforme en ligne de divertissement pour adultes détenue par MindGeek. En plus d’héberger de la pornographie commerciale mettant en vedette des adultes, Pornhub permet aux utilisateurs d’y diffuser des vidéos amateurs, et les utilisateurs peuvent se servir de filtres pour préciser leurs recherches; or, certaines catégories comportent des références à la jeunesse des personnes qui y figurent. Comme l’ont signalé de récents articles (notamment de Radio-Canada et du NY Times), des victimes d’exploitation juvénile et d’agression sexuelle infantile ont constaté que des enregistrements dont elles avaient fait l’objet se trouvaient sur Pornhub, et elles ont souligné les difficultés auxquelles elles ont dû faire face pour que l’entreprise retire le contenu en question. Mindgeek, propriétaire de Pornhub, est une entreprise canadienne enregistrée au Luxembourg dont le siège est à Montréal et qui a des bureaux en Europe et aux États-Unis. Selon Cyberaide.ca, centrale canadienne de signalement des cas d’exploitation sexuelle d’enfants sur Internet qui est en activité 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, Mindgeek n’a jamais stocké une part notable de son contenu au Canada. Les serveurs de Mindgeek se trouvent principalement aux États-Unis et dans d’autres pays, et il semblerait que l’entreprise rende régulièrement des comptes au National Centre for Missing and Exploited Children (centre américain pour les enfants disparus et exploités), l’équivalent américain du Centre canadien de protection de l’enfance.
D’une part, il faut se demander si les obligations commerciales internationales du Canada au titre de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) l’obligent à accorder l’immunité contre les poursuites pénales aux fournisseurs de services Internet qui donnent accès à du contenu en ligne illégal; d’autre part, il est à noter qu’un groupe de députés et de sénateurs canadiens a écrit au ministre de la Justice le 25 novembre 2020 pour demander que le gouvernement prenne des mesures contre Pornhub et Mindgeek, au motif que ces entreprises hébergent du contenu où figure de la pornographie juvénile et d’autres crimes sexuels, et qu’elles tirent donc profit de ces crimes.
Chapitre de l’ACEUM sur le commerce numérique
L’article 19.17 de l’ACEUM porte sur les services informatiques interactifs, à savoir les systèmes ou services qui fournissent ou permettent à plusieurs utilisateurs l’accès électronique à un serveur informatique. La promotion de ces services est essentielle à la croissance du commerce numérique, et elle est particulièrement importante pour les petites et moyennes entreprises.
Par conséquent, les parties à l’ACEUM ont convenu de ne pas traiter les fournisseurs et les utilisateurs des services informatiques interactifs comme des fournisseurs de contenu informatif pour déterminer la responsabilité en cas de préjudices liés aux renseignements stockés ou transmis au moyen de ces services. Cependant, cela ne signifie en aucun cas que les services informatiques interactifs peuvent échapper aux poursuites ou à l’application du droit pénal au Canada, même en ce qui concerne le contenu généré par les utilisateurs. Au contraire, le paragraphe 4 de l’article 19.17 énonce expressément qu’« [a]ucune disposition [de cet] article [...] ne peut être interprétée de manière à empêcher [...] une [p]artie d’appliquer une loi pénale ».
De plus, les parties à l’ACEUM peuvent adopter les lois requises ou prendre les mesures nécessaires, sur le plan civil ou pénal, pour protéger la moralité publique, ce qui peut notamment comprendre des mesures visant à assurer la protection contre le trafic sexuel en ligne, l’exploitation sexuelle des enfants et la prostitution.
Le Code criminel interdit toute publication et toute vente de contenu sexuel explicite concernant des enfants (article 163.1, pornographie juvénile). Il interdit aussi le voyeurisme et la publication non consensuelle d’images intimes, et il comporte des interdictions concernant le matériel obscène et la propagande haineuse (articles 162, 162.1, 163, 318 et 319).
De plus, le Code criminel autorise les tribunaux à ordonner la saisie et la confiscation du matériel visé (par exemple le matériel obscène, la pornographie juvénile et les enregistrements voyeuristes) ainsi que son retrait des systèmes informatiques au Canada (articles 164 et 164.1).
En outre, la Loi concernant la déclaration obligatoire de la pornographie juvénile sur Internet par les personnes qui fournissent des services Internet, édictée par le gouvernement fédéral, exige que les personnes fournissant des services Internet au public (par exemple les fournisseurs d’accès ainsi que les personnes qui produisent du contenu et ceux qui l’hébergent) déclarent et préservent les données en cause.
Défis à relever
La tenue d’enquêtes et de poursuites dans les affaires de ce genre comporte d’importantes difficultés, puisque les accusés ou leurs services, de même que les victimes et les preuves, peuvent se trouver à l’extérieur du Canada. Même en présence d’un cadre juridique rigoureux, comme celui du Canada, des entraves d’ordre pratique font qu’il est difficile de s’attaquer aux crimes de ce genre. Cependant, l’ACEUM ne rend pas la chose plus difficile et ne limite pas la capacité du Canada de retenir la responsabilité des fournisseurs de services informatiques interactifs.
Renseignements supplémentaires :
aucun